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L'EMBUSCADE DU 28 FEVRIER 1957

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L'EMBUSCADE DU 28 FEVRIER 1957

 

            Le 28 février 1957, vers 13h40, un convoi militaire ayant terminé sa mission de ravitaillement du poste de la 2ème compagnie du 1er bataillon du 22ème RI cantonnée à Bouyamène, lors de son retour, tombe dans une embuscade tendue par des HLL (hors la loi), quelques kilomètres avant Dupleix. Le bilan est très lourd en pertes de vies humaines, d'armes et de munitions, de matériel et de véhicules. Ce drame a marqué les esprits à jamais.

 

            Ayant servi au 1/22 quelques années plus tard en 1960/1961, cette embuscade a été évoquée devant moi à plusieurs reprises. Ce qui m'a amené à m'y intéresser.

 

            Après sélection, je dispose maintenant de plusieurs témoignages ou sources d'informations. Je vais les recouper afin de tenter de savoir ce qui s'est effectivement passé.

 

 

            LES SOURCES

 

            J'ai attribué un numéro d'ordre à chaque source afin de pouvoir facilement la citer en cas de besoin dans le texte de cet article.

 

            1)- Le JMO (Journal des Marches et Opérations) du 1/22 auquel est joint, chaque trimestre, l'ordre de Bataille reprenant les titulaires des postes hiérarchiques ainsi que diverses informations, notamment la liste nominative des morts et blessés. C'est un document militaire officiel, tenu au jour le jour, en style "télégraphique", pour les faits qui rythment la vie du bataillon. Il est absolument confidentiel et couvert par le "secret défense". Même actuellement le JMO du 1/22 n'est toujours pas dans le domaine public et ne peut être consulté que sur autorisation ministérielle. Je l'ai obtenue certainement parce que je figure, bien évidemment, sur les ordres de Bataille couvrant ma présence dans les rangs de ce bataillon.

 

            2)- Le compte rendu rédigé aussitôt après le drame par le commandant Cailhol, chef du 1er bataillon. Document lui aussi officiel et exceptionnellement joint en bonne place au JMO. Ce compte rendu a été publié, avec quelques variantes par le Dahra, journal de liaison du 22ème RI et repris sur le blog de Michel.

 

            3)- Le témoignage (écrit) de Max Dubos, Sous lieutenant de réserve au 586ème BT (Bataillon du Train) de Novi qui, lors d'une mission à Gouraya, a été "réquisitionné" pour se porter sur le lieu de l'embuscade afin de rechercher les blessés. Cet article a été publié sur le blog de Michel le 7/05/2010. Cet article a été repris par un blog algérien (Vitaminedz) le 6/04/2013.

 

            4)- Le témoignage (écrit) de Claude Rochard. Un appelé affecté à la 2ème compagnie cantonnée à Bouyamène. Il était en poste à Béni Bou Hanou. Un de ses amis et frère d'armes a été blessé mortellement dans l'embuscade. Il avait pris le convoi pour recevoir des soins dentaires à Dupleix. Cet article a été publié sur le blog de Michel le 17/03/2009. Ainsi qu'une fiche nécrologique concernant Guy B, un des tués.

 

            5)- Le témoignage (oral) d'Edmond Courraly. Un sous-officier du contingent. Non présent, affecté à la 3ème Compagnie au moment des faits. Il a rejoint fin 1957 le poste de Lala Ouda créé à proximité du lieu de l'embuscade, (voir l'article publié sur le blog de Michel le 21/11/2013).

 

            6)- Les commentaires d'Albert Roussel suite à des articles sur le Net (notamment wilaya4.chez.com/debat/contributions_1.htm)

 

            7)-Le témoignage oral de Raymond Guittard. Il faisait partie d'une section de la 2ème Compagnie en protection de la piste à quelques kilomètres au nord de Bouyamène. Ce sont les premiers secours arrivés sur le lieu de l'embuscade.

 

             NB: grâce à la mémoire d'Edmond Courraly, j'ai pu obtenir les coordonnées d'un Appelé rescapé de l'embuscade. Malheureusement, il n'a pas donné suite à ma démarche pour entrer en contact. C'est certes une énorme perte pour l'histoire mais sa position se comprend parfaitement. Il doit être particulièrement traumatisant de vivre avec de tels souvenirs. Je l'avais néanmoins approché car, il y a une bonne vingtaine d'années, il s'était spontanément confié à E.Courraly. Son nom est inconnu de RG (7). Il devait donc être affecté à la CCAS du 1/22 RI.

 

            8)- Aïssa Hakim. Au moment des faits, il avait une douzaine d'années. Il était berger et "chouf" (guetteur) pour le FLN. Son père en faisait partie. Il a vu à l'aller comme au retour des HLL de l'embuscade. Il a écrit divers articles qui ont été publiés notamment par le NouvelObs. (par ex.: aissa-hakim.over-blog.com/article-guerre-d-algerie-bataille-de-bouyamene-vue-croisee-berger-chouf-de-l-aln-et-soldat-colonial-118199545.html). J'ai déjà eu l'occasion de m'intéresser à certains de ses articles. Voir sur le blog de Michel "La double embuscade de Sadouna" publié le 4/11/2013.

 

            9)- Mohamed Chérif Ould el Hocine. Un ancien officier de l'ALN. Il a écrit une lettre ouverte à la gloire des "chouhada" (singulier chahid, martyr) publié sur plusieurs sites sur le Net et dans la presse algérienne (par ex: www.depechedekabylie.com/evenement/62336-hommage-aux-familles-de-nos-valeureux-chouada.html)

 

            10)- ML. Une enquête non (encore) publiée établie par un Algérien qui s'est rendu 5 fois sur le lieu de l'embuscade (la première en septembre 1962) et a rencontré des témoins et des participants à cette embuscade. Après publication de cet article le 10/10/2013, il a apporté d'autres précisions.

 

          LE LIEU DE L'EMBUSCADE

 

BY piste

 

            Le JMO du 1/22 ne précise pas quelles sont les coordonnées du lieu de l'embuscade. Ce n'était d'ailleurs pas l'habitude à l'époque. Il faut reconnaître que celles utilisées, les coordonnées "Lambert", n'étaient pas faciles d'emploi et surtout pas parlantes. Ce n'est qu'avec les nouvelles cartes d'état major de 1957, distribuées à compter de 1958, que l'on utilisa les nouvelles coordonnées "chasse" d'une grande simplicité. Elles apparaissent pour la première fois dans le JMO du 1/22 le 3 mai 1960 pour un "ratissage" en (LY) 05 G-H 60-70.

 

            L'Armée s'en tenait alors à des renseignements plutôt vagues : sur la piste de Bouyamène, à environ 6 km de Dupleix. Or, comme le montre la carte "reconstituée" ci-dessus, il existait 2 pistes reliant ces deux points. A 5 km environ au nord de Bouyamène, la piste se divise en deux, une fourche en LY 15 D 74 (le site sur lequel sera érigé le futur poste de Tala Icorn)  Mais on comprend pourquoi la branche "Est" ne fut certainement pas ou rarement empruntée car elle est très tortueuse donc plus longue et plus lente. Et de ce fait plus dangereuse. Nous nous en tiendrons donc dorénavant à la branche "ouest". A noter que c'est cette piste qui, après l'indépendance, élargie et goudronnée, a été transformée en route à usage "civil" de Dupleix à Carnot (D4 de la carte Michelin et CW 3 sur les cartes algériennes).

 

            Une précision importante est apportée par ML. (10). Il indique dans son enquête que la tête de l'embuscade se situait en face du mausolée d'une sainte femme locale dénommée Lala Ouda et donc du poste militaire édifié par la suite.

 

Or, de ce camp, érigé en octobre/novembre 1957, des photos du lieu de l'embuscade ont été prises par EC (5) après son affectation à la 3ème compagnie comme chef de pièce du mortier de 60m/m.

 

piste de l-embuscade de bouyamene photoE.COURRALY

 

Début de l'occupation des lieux du futur poste de Lala Ouda. La ligne blanche est celle de la piste de la tête de l'embuscade à la position du half-track sous le piton coté 908. Au centre le djebel Nador.

 

La photo ci-dessous est plutôt axée sur la tête de l'embuscade et le point coté 706 avec, en partie visible, la piste (certainement celle du mausolée) reliant le futur camp à la piste principale.

 

les marabouts de lala ouda photo Edmond COURRALY

 

Ce qui nous permet d'affirmer que l'embuscade s'est tenue entre le carreau "chasse" LY 15 B 73 (position du scout car) et le LY 15 C 64 (position du half-track).

 

 

          LES FORCES EN PRESENCE

 

            22ème R.I.

 

            L'élément en mission faisait partie de la CCAS (Compagnie de Commandement d'Appui et de Services) du PC du Bataillon installé à Gouraya. Un convoi de ravitaillement de 15 véhicules dont 2 blindés (un scout-car et un half-track). (1) comme il y avait au moins une jeep, le nombre de GMC se limiterait donc à 12.

 

            Le chef de convoi est le capitaine Louis B. commandant de la CCAS. Le sous-lieutenant Roger C. est le chef de la section d'appui. Au retour, l'effectif est de 58 combattants dont certain de la 2ème Cie, parmi lesquels des permissionnaires. (1) Nous y reviendrons.

 

            Pour les différents intervenants, la composition du convoi est pratiquement celle du JMO. A l'exception d'un seul, celui de l'ancien officier de l'ALN (9) qui, à au moins à deux reprises, dont dans la dépêche de "Kabylie" du 1er/11/2008, parle de plusieurs dizaines de véhicules et de camions. Nous aurons l'occasion d'en reparler lors du bilan.

 

ALN (Armée de Libération Nationale)

          branche armée du FLN

 

De nombreux articles indiquent un chiffre de 35 HLL ayant participé à cette embuscade. Or, on constate que tous ont été écrit par AH (8), le "petit berger". En fait, il se réfère au nombre de combattant qui se sont reposés et sustentés chez ses parents à l'aller comme au retour. Mais, il se trouvait, comme il l'écrit, à une dizaine de kilomètres du lieu de l'embuscade. Il n'a donc vu que les forces locales, le commando zonal commandé par son favori Mohamed Hanoufi, de son nom de guerre Abdelhaq. Que l'ex officier (9) appelle d'ailleurs Ahmed Noufi, alias Si Abdelhak.

 

En tout état de cause, un convoi d'une quinzaine de véhicules, avec les distances de sécurité, dépasse nettement 500 mètres en longueur. Pour le couvrir, avec 35 hommes, il faudrait en placer un au moins tous les 15 m. Ce qui serait totalement inopérant. Une simple escarmouche.

 

Mais si Abdelhak est bien l'instigateur de cette embuscade, il a dû obtenir l'accord du capitaine Slimane, alias Siakha, responsable politique et militaire de la zone et surtout l'appui de Ait Maâmar, alias Si Yahia, commandant le bataillon commando de la Willaya IV (9 & 10) fort de 350 hommes (9). Bataillon qui par pur hasard était dans le secteur pour se reposer et se reconstituer.

 

D'autres sources donnent des chiffres moindres mais néanmoins importants. Pour le Dr Mohamed Taguia, ancien haut responsable de la Wilaya IV, l'effectif était de 180 (cité par AH (8) qui d'ailleurs conteste ce chiffre). Pour ML (10) il était de 250. Pour l'affirmer, il se base sur le nombre de postes de combat aménagés pour l'embuscade. Ces postes étaient encore visibles sur le terrain en 1962. Ils ne l'étaient plus en 1970 suite à l'élargissement de la piste, devenue route goudronnée.

 

On peut donc affirmer que les fellaghas étaient en supériorité numérique dans la proportion d'au moins 4  (voir 5) contre 1.

 

De tels chiffres ne sont pas surprenants. A l'époque l'ALN disposait encore d'unités importantes puisqu'elle contrôlait une bonne partie du territoire. Mais elles furent aussi sa perte. Les grandes opérations du "Plan Challe" menée de février 1959 à septembre 1961 les ont laminés voire exterminées. Et en 1960, il ne restait plus une katiba (compagnie) complète dans toute la Wilaya IV. Le FLN avait perdu la guerre sur le terrain.

 

Pourtant, il a maintenu des petits groupes pour entretenir l'insécurité, obligeant ainsi l'Armée Française à poursuivre son "quadrillage" donc à utiliser des Appelés et d'autant plus que les effectifs étaient en baisse suite à la mobilisation de 1939. Il est indéniable qu'il pariait sur la lassitude des Français. Il voulait gagner sur le tapis vert. Et, il faut le reconnaître, il a réussi avec les prétendus accords d'Evian.

 

LES PREPARATIFS

 

C'est donc l'adjudant Abdelhak, chef du commando zonal qui sans contestation possible a été l'investigateur et le concepteur de l'embuscade. Sans aucun doute avec l'aide de ses "choufs", il a pris conscience de la régularité d'un convoi organisé pour ravitailler, à partir de Dupleix, le camp de la 2ème compagnie à Bouyamene. Il a donc fait soigneusement observer.

 

Tous les jeudis un convoi d'une quinzaine de véhicules dont 2 blindés quittait Dupleix, en fin de matinée vers 11h30 pour Bouyamene. Le retour s'effectuait en début d'après midi, après le repas, pour regagner sa base. Toujours par la même piste. L'exemple type de ce qu'il ne faut pas faire. D'ailleurs les habitudes, la routine, sont critiquées dans toutes les écoles militaires avec juste raison d'ailleurs. Oui, mais comment se comporter autrement dans un tel cas. On ne peut varier que les jours et les heures. Est-ce suffisant ?

 

Cet adjudant n'était pas sans expérience puisqu'il aurait participé à l'embuscade de Palestro le 18/05/1956. Ce qui lui a permis de concevoir un plan que nous détaillerons par la suite.

 

Il avait même envisagé une tentative 2 mois plus tôt en s'associant avec un autre commando zonal dirigé par Souleimane Tayeb, alias Zoubir. Combattant d'expérience s'il en est puisqu'il avait réussi l'embuscade de Sidi Franco (quartier de Marceau) le 9/01/1957 tendue à un convoi du 3ème bataillon du 22ème RI. Une opération prémonitoire avec des chiffres légèrement inférieurs à ceux de Bouyamene. 12 véhicules, 42 militaires, 27 tués dont 1 gendarme, 14 blessés ayant survécu. Mais le commando avait été transféré dans la région de Blida (9). Où Zoubir a péri le 22/02/1957 dans un accrochage à Sbaghnia.

 

Abdelhak avait donc besoin d'aide. Comme nous l'avons vu, il l'a obtenue de ses interlocuteurs mais pas sans une forte réticence. Qui se manifesta à nouveau sur le terrain le matin même de l'embuscade lors du passage du convoi qui, par sa taille, impressionna Siakha et Yahia qui voulurent se retirer. Abdelhak les menaça alors de la réaliser seul. Ce qui aurait été un échec qui aurait rejailli sur les partants et les auraient déshonorés. Sous la pression de la "troupe", ils restèrent (8 & 9).

 

Et c'est vrai, Abdelhak avait vu juste. Le convoi avait de nombreux points faibles comme nous le verrons par la suite. Par contre, j'ai été étonné que, parmi les Algériens, aucun n'ait rapporté un point essentiel de la tactique de l'ALN dans ce domaine. Pourtant AM (8) l'avait évoqué dans ses articles à propos de la prétendue double embuscade de Sadouna. Cette règle d'or voulait qu'il ne faut pas tendre une embuscade si elle doit se réaliser plus d'une heure avant le coucher du soleil. Ceci pour empêcher, avec la nuit, tout convoi de transport de troupes, l'intervention de la "chasse" aérienne et même l'héliportage de commando de chasse. Et Dieu sait qu'elle est la distance que l'on peut parcourir en 10 heures quand on a le diable aux trousses. Et que le terrain a été préalablement reconnu pour éviter les fortes dénivelées. De 20 km au moins.

 

Or pour Bouyamene, Abdelhak y dérogeait. Mais il faut reconnaître que, à l'époque le "quadrillage" dans ce secteur était encore en phase d'application. Le  djebel n'était toujours pas complètement tenu. Si Bouyamene était en place, Bou Zérou ne l'était pas encore. Les regroupements étaient en cours et les GAD plutôt rares. Et les procédures d'urgence n'étaient pas encore parfaitement rodées. Le "maillage" du filet était encore large et nos adversaires en profitaient.

 

L'ARMEMENT

 

ALN

 

Aucun des Algériens ne cite de chiffres précis. Mais ce qui est important, c'est que les HLL disposaient d'une mitrailleuse de 30 (7,62 m/m) et d'un FM 24/29, des PM, des fusils de guerre et de chasse qui peuvent être redoutables dans une embuscade lorsque l'on utilise des chevrotines qui ne sont pas de fabrication locale et quantité de grenades. Comme il s'agissait d'unités d'élite, tous les combattants devaient être armés. Par contre, s'ils utilisaient des porteurs ceux-ci ne l'étaient pas.

 

Les armes étaient celles récupérées dans des embuscades. Les meilleurs outils revenaient aux bons ouvriers. Ainsi les armes récupérées à Sidi Franco étaient sur place. Et même d'autres provenant du stock dérobé par l'aspirant Maillot lors de sa désertion.

 

Le commandant Cailhol le signale, in fine, dans son récit de l'embuscade publié par le Dahra (2). Mais cela pouvait passer pour une clause de style. Cette assertion est pourtant confirmée par des anciens HLL.  ML (10).

 

1/22ème RI

 

L'armement du convoi est traditionnel. Je n'insisterais donc pas. Néanmoins, je voudrais m'arrêter sur deux points : les blindés et l'avion.

 

Les blindés sont des blindés légers, un half-track et un scout-car. Si le premier est connu, il était couramment utilisé en AFN, il n'en est pas de même pour le second. C'est un véhicule à 4 roues qui fait l'unanimité contre lui. Fabriqué par les USA avant la seconde guerre mondiale, il était déjà obsolète quelques années plus tard. Les US l'ont fourgué en masse aux soviétiques. Il a pourtant été utilisé en Indochine et en AFN.

 

scoutjp6.JEPG

 

C'était initialement un transport de troupe. Son blindage était trop faible et trop bas n'offrant aucune protection à son équipage et notamment au conducteur qui ne disposait que d'une cabine ouverte. En plus son moteur avait des capacités réduites compte tenu du poids. Et il n'avait pas de porte arrière. Pas facile de s'en extraire rapidement.

 

Les 2 blindés étaient équipés d'une mitrailleuse de 50 (12,7) et de 30 (7,62).

 

 

Morane Saulnier est un constructeur aéronautique qui depuis 1910 s'est spécialisé dans les avions entoilés pour l'observation, l'entraînement et les liaisons. Pendant la 2ème guerre mondiale, il a été contraint de produire pour l'occupant des appareils similaires mais avec une voilure métallique, le Fieseler Fi 156 Storch (cigogne). A la libération, il en a produit une réplique, le Morane MS 500 Criquet.

 

morane 500

 

C'était un avion lent, sans aucune protection et non armé. Certains modèles ont néanmoins été équipés d'une mitrailleuse MAC type 34 de 7,5 m/m sur le côté gauche à la place de la vitre arrière du cockpit qui ne pouvait tirer que vers l'arrière de l'appareil. Mais il n'est pas certain que cet avion armé ait été utilisé fréquemment en AFN.

 

Un témoignage ML (10) signale que, au retour, un camion civil avec deux personnes à bord, faisait partie du convoi. Sans autre précision. On ne sait pas ce qu'il est devenu. Mais c'est plausible. Je l'ai connu à Bou Zérou et je sais que cela se pratiquait à Bouyamene. Des pick-up transportant du charbon de bois pour le marché de Gouraya. Ils circulaient en queue de convoi.

 

LE TERRAIN

 

Avant toute chose, il faut préciser que la piste de Bouyamene à Dupleix était pour l'essentiel de son parcours, une piste de djebel. Ce qui signifie qu'elle a été tracée au bulldozer à flan de montagne. Donc d'un côté le vide et de l'autre le talus qui peut surplomber la piste de plusieurs mètres. En outre c'est une piste à voie unique absolument sans "passing place", comme en Ecosse dans les Highlands, pour se croiser. Pour la bonne raison que l'on ne se croise jamais. Et il est  impensable de croiser un véhicule civil puisque l'on est en zone "interdite".

 

Ce qui veut dire que dans un convoi, aucun véhicule ne peut changer de place.

 

BY lieu

Portion de piste sur laquelle a eu lieu l'embuscade. Les triangles noirs indiquent le début de l'embuscade et sa fin supposée. L'étoile noire représente l'emplacement des armes collectives des HLL. Les positions des blindés sont notées, ainsi que le champ de vision du half-track. Cette portion de piste représente environ 1km.

 

La carte ci-dessus est une carte récente agrandie, établie à partir de photos satellites. Elle s'intègre parfaitement, à échelle réduite, dans la carte d'état major ci-dessus. Le douar de Bihita (en haut à gauche) est de construction récente, après l'indépendance. Il est situé entre l'ancien poste de Lala Ouda et l'école de Béni Hattéta dont il a dû reprendre l'ensemble des installations encore existantes.

 

Le choix du lieu de l'embuscade est particulièrement judicieux pour ne pas dire remarquable. Il se situe approximativement à mi-parcours donc donne le temps le plus long pour les interventions locales que l'on peut estimer à 25/30 minutes. Un seul défaut, mais auquel on peut remédier facilement, le convoi sera en pente descendante. Il roulera donc plus vite qu'à la montée, d'où une plus grande difficulté pour atteindre les chauffeurs. Et notamment celui du premier véhicule. Or, selon les consignes militaires, si un convoi est attaqué, les chauffeurs doivent accélérer pour se dégager au plus vite de la zone dangereuse. L'erreur n'est donc pas permise pour les rebelles.

 

La partie de piste sous l'embuscade est pratiquement en ligne droite parfaitement observable puisqu'en descente; Un point fort puisque les armes collectives sont rares. Placées en tête, elles pourront en cas de besoin couvrir toute la piste. En plus, le secteur est désert donc offre le maximum de discrétion lors des travaux préparatoires puisqu'il fallait creuser des postes de combat, plus de 250 a-t-on dit, ainsi qu'une tranchée pour cacher les armes récupérées et camoufler l'ensemble. Ces travaux durèrent 2 jours et furent exécutés, volontairement ou sous la contrainte, par la population des douars proches. ML (10).

 

La partie de piste retenue ne comporte pas d'échappatoire. D'un côté le ravin en pente raide. De l'autre le talus, recouvert de broussailles denses, plutôt élevé, ce qui interdit pratiquement toute contre-attaque des occupants des véhicules alors qu'ils seront tirés à vue à faible distance, sur le même plan et bien souvent dominés.

 

Emplacement de l embuscade du 28 2 57

 

Cette photo prise par ML (10) nous montre la piste à la tête de l'embuscade, après avoir été transformée en route goudronnée. Elle a été élargie en mordant sur le djebel, ce qui a eu comme conséquence d'élever le haut du talus. Elle n'est donc pas très parlante.

 

La photo suivante (de Pierre Jamin) n'a pas été prise sur la piste de Dupleix à Bouyamène mais elle est très représentative de l'état des pistes qui se présentaient ainsi dans une multitude de cas en AFN. Il est donc aisé de se rendre compte de leur dangerosité. Les occupants de ces véhicules ne voient absolument rien. Ils pouvaient à tout moment tomber dans une embuscade ou même être la cible d'un tireur isolé, voire recevoir une grenade. On risquait donc sa vie en permanence !

 

 Convoi de ravitaillement pour AZIEM photo Pierre JANIN

Convoi de ravitaillement du poste d'Arziem Secteur de Marceau (3ème bataillon)

 

La tête de l'embuscade est placée à l'entrée du premier virage d'une suite de lacets qui obligeront les véhicules à ralentir. Ce qui donnera le maximum de facilité aux tireurs embusqués. Mais il fallait une parfaite synchronisation des tirs pour que la surprise soit totale et la riposte faible. Pratiquement tous les chauffeurs devaient être abattus en même temps pour bloquer les véhicules quand ils ne tombent pas dans le ravin. Et du même coup, on pouvait éliminer au moins 25% des forces adverses ce qui est loin d'être négligeable en pareille circonstance.

 

LE CHOC

 

Le 28 février 1957 au matin, les forces rebelles devaient être à pied d'œuvre car il est impensable qu'elles se soient déplacées de jour au risque de se faire repérer par une patrouille. Et chacun devait avoir gagné son poste de combat, bien camouflé pour ne pas être découvert par le Morane d'accompagnement. Le convoi à la montée a donc été observé discrètement un peu avant midi. C'est d'ailleurs à ce moment là que Siakha et Yahia, impressionnés, décidèrent de se retirer. Mais il n'en fut rien.

 

Vers 13h40, le Morane tournant au dessus du convoi au retour entrait dans la nasse. Le tireur du FM toucha l'avion qui s'écrasa sur la pente du Djebel Nador tandis que deux coups de fusils de chasse donnaient le signal de l'attaque. Le scout-car fut stoppé et boucha la piste. Le capitaine Lucien B. fut tué net dans sa jeep derrière et ainsi de suite. Tout le convoi s'immobilisa dans un déluge de feu, 4 GMC basculant dans le ravin. Avec leurs occupants.

 

Et il fallait faire vite. Les rebelles passèrent à l'attaque en tirant et balançant des grenades. Le combat se termina au corps à corps, y compris à l'arme blanche (2 & 3). L'objectif était de récupérer le maximum d'armes et de matériel et même treillis et pataugas, ceux-ci fort recherchés car introuvables dans le commerce puisque la vente en était interdite en Algérie. Ceci en vertu d'un vieux principe édicté par l'Emir Abd el-Kader et repris par le Dr Mohamed Téguia dont nous avons déjà parlé. Qui a écrit : "Il s'agit de profiter de l'effet de surprise, de frapper vite et de se diluer dans la nature en emportant le plus d'armes possibles. L'engagement doit être bref, la durée n'excédant pas 15/20 minutes". Le principe de la razzia.

 

Mais les emplacements de tir prévus ne devaient pas être adaptés pour répondre à la longueur du convoi et la puissance de feu mal répartie. Les 3 derniers GMC ne furent pas touchés, ils ne pouvaient être que dans la courbe la plus courte au sud (voir carte ci-dessus) sinon le half-track se serait avancé jusqu'au virage suivant pour ajuster ses tirs. Et au milieu du convoi, quelques militaires résistèrent aux assauts.

 

Pourtant c'est le half-track avec le sous-lieutenant Roger C. qui évita que le désastre soit total. Suite à un incident technique, ce blindé quitta Bouyamène avec un léger retard. Il déboucha donc dans le dernier virage alors que l'embuscade battait son plein. En position dominante du fait de la pente, le sous-lieutenant ne perdit pas ses esprits et ouvrit le feu de ses deux mitrailleuses, servant lui-même la 12,7, en tirant notamment sur la tête de  l'embuscade et le scout-car qui avait en ligne de mire plusieurs GMC du convoi (2).

 

Un groupe de rebelles tenta d'enlever la queue du convoi mais ils échouèrent. Sur ce, toute l'embuscade se dispersa. L'opération n'avait pas duré un quart d'heure. . La règle avait été respectée. Et quelques minutes plus tard le premier élément de la 2ème   compagnie arrivait en renfort. Immédiatement suivi par un deuxième de la 3ème compagnie. Ils ne purent que se porter au secours des blessés.

 

LE BILAN

 

Le bilan de l'embuscade est lourd. Très lourd. On déplore 27 tués auquel il faut ajouter le pilote du Morane  + 2 blessés qui sont décédés dans les jours qui ont suivi + le prisonnier dont le corps fut retrouvé le 13/03/57 près du lieu de l'embuscade, soit un total de 31 hommes. Sans oublier 13 blessés  qui ont survécu (2) + le copilote du Morane.

 

Les pertes en armes, matériels et équipements ne le furent pas moins. On dénombre : 2 mitrailleuses de 30 dont celle du scout-car (je ne vois pas d’où peut provenir la seconde. Du Morane s'il était armé ? Mais alors c'était une 7, (et ne concernait pas le 1/22. (Mystère), 14 PM, 6 Garands , 2 carabines US dont celle du capitaine, 2 PA, 1 poste radio SDR 300, 2 postes radio SCR 536, 4 gilets pare-balle et 1 manchon lance grenade. (2). Ne sont pas dénombrés les treillis et les Pataugas qui furent arrachés aux morts et dans certains cas enfilés immédiatement.

 

Il est bien évident qu'un tel trésor de guerre n'a pas pu être emporté par une troupe fatiguée, éprouvée, comptant des morts et des blessés qui devait fuir rapidement pour ne pas se faire accrocher. Tout fut donc enfoui sur place dans une tranchée préparée à l'avance. ML (10) en a vu la trace en 1962.

 

L'armée perdit également 4 GMC, tombés dans le ravin. ML (10) affirme avoir vu en 1962 les carcasses des 4 véhicules au fond du ravin. Ce qui est démenti par EC (5) qui, une semaine après l'embuscade, a participé à une fouille du terrain pour récupérer le matériel qui aurait pu être oublié. Et il n'y a pas vu d'épaves de GMC. ML, confirme les avoir vus en 1962 à 250/300 m en contre bas de la piste, dans un endroit difficile d'accès, très boisé et brousailleux. Il n'en demeure pas moins que ces 4 GMC sont bien tombés dans le ravin et qu'il ne devait pas être facile de les extraire.

 

Sur le blog de Michel figurent 2 photos strictement identiques dont celle ci-dessous, mais les légendes sont différentes. L'une (de Claude Rochard) est liée directement à l'embuscade, mais la seconde (de Daniel Boulay) est présentée comme une simple sortie de piste. Alors qui croire .

 

Embuscade Dupleix Bouyamène Lalla Aouda 28 février 1957

 

Dès le début de l'embuscade, l'avion d'observation, un MS 500, a été abattu par le tir du FM. Il s'est écrasé sur le Djebel Nador.

 

Carcasse-du-piper-abattu-le-28-02-1957-photo-A-ROUSSEL.jpeg

 

Ce fait a été immortalisé par une photo d'Albert Roussel (6), photo qui figure dans un des albums du blog de Michel. Mais cette photo nous interpelle.

 

Nous savons par le sous-lieutenant Max D. (3) qui a retrouvé l'avion  que le pilote était décédé, à sa place, mais sans que nous sachions s'il a été tué par balle ou en se scratchant. Par contre le copilote n'était que blessé et s'était caché dans des buissons à l'arrivée des fellaghas. On peut donc en déduire que le choc n'a pas été trop brutal.

 

Sur la photo nous remarquons que le point  de chute est dégagé alors que les pentes du Djebel Nador sont broussailleuses. AR (6) précise que sa photo a été prise quelques jours après l'embuscade alors que les débris de l'avion avaient été regroupés au lieu dit Lala Ouda. Ce que confirme EC (5) avec la photo ci-dessous. Lors de la création du poste de Lala Ouda, les débris étaient toujours là. ML (10) affirme les avoir vu en 1989 mais sans en préciser l'endroit. Sur son dernier memo, il a ajouté que ne subsistait à l'emplacement du crash, et encore aujourd'hui, qu'une partie de la carlingue, les ailes et le train d'atterrissage avaient disparu. Ce qui est parfaitement concordant.

 

avion

                       Les harkis de Lala Ouda avec, au premier plan, des débris du Morane

 

Bien évidemment, nous ne développerons pas le témoignage (9) qui rapporte que des dizaines de véhicules ont été détruit, tous les soldats tués et des centaines de fusils de guerre, des PM, des FM récupérés. Il en est qui n'ont pas peur du ridicule…..

 

Quant aux rebelles, nous ne savons que peu de choses sur leurs pertes. Le témoignage d'un "rescapé" aurait été d'une grande importance (7). Ce qui est certain, c'est que Abdelhak a été tué alors qu'il essayait de récupérer la 12,7 du scout-car. Un autre homme, tué à son côté, a aussi été identifié.

 

Le CR (2) indique 9 tués, 2 prisonniers et un fusil de chasse récupéré ce qui peut être sujet à caution. MD (3) ne parle que d'un fellagha mort sur la piste. Sur le CR joint au JMO, il est précisé que "le sous-lieutenant Roger C. a vu lui-même des HLL ramenant des morts et des blessés sur les pentes dominant la piste. Seuls les rebelles abattus sur celle-ci sont restés". (1). Ce qui reste bien vague.

 

Quant à lui, RG (7) signale avoir vu 7 HLL morts sur la piste.

 

Mais on peut affirmer que les rebelles se sont repliés en emportant leurs morts et blessés; (10) signale une dizaine de blessés chargés sur des brèles et 2 tués dont les corps n'ont pas été retrouvés dans la forêt. (10) En tout état de cause leurs pertes furent minimes.

 

Et il est reconnu que c'est l'arrivé inopinée du half-track qui précipita l'ordre de décrochage.

 

LE PRISONNIER

 

Effectivement, il y eu bien un prisonnier, le soldat René B. C'est indiscutable ? On se demande bien pourquoi d'ailleurs car les rebelles n'avaient pas de camp du moins en Algérie. Etait-ce un trophée à présenter comme dans un triomphe romain ? AH (8) nous relate longuement son martyr. Car il est évident que libéré, il pouvait identifier ceux qui l'avaient emmené et signaler tous ceux qui avaient aidés les fellaghas d'où des arrestations avec tout ce qui peut en découler. Il était donc condamné.

 

Siakha qui avait pris le commandement du commando d'Abdelhak l'a présenté comme celui qui avait abattu ce chef vénéré. Et l'a condamné à être lapidé. Certains ont critiqué cette torture et ont plaidé pour une mort rapide et, si on peut parler ainsi, honorable. Dont le frère de AM. Ce qui lui a valu d'être lui aussi exécuté, par pendaison.

 

Je pense que ce témoignage peut être retenu car si AH (8) est sans concession envers la "puissance coloniale", il n'attaque jamais la France en tant que Nation. Et il n'est pas tendre, c'est le moins que l'on puisse dire, envers les autorités Algériennes qu'ils considèrent comme ceux  qui ont goulûment mangé les marrons retirés du feu par les moudjahiddines.

 

Un point pourtant m'étonne dans son récit. Le commando zonal, à 10 Km à vol d'oiseau du lieu de l'embuscade, c'est AH qui l'a écrit, prend le temps de déguster un couscous préparé par la mère de l'auteur. Alors même que tous savent que tout le secteur va grouiller de militaires français. Une sacrée dose de confiance dans leur bonne étoile. A croire qu'ils se considèrent comme invincibles après leur coup de main. Oui, vraiment étonnant….

 

Le prisonnier aurait été exécuté le 3 mars et sa dépouille retrouvée le 13 près du lieu de l'embuscade. Certainement pour éviter tout rapprochement avec le lieu de son supplice et même le chemin parcouru.

 

LES PERMISSIONNAIRES

 

On a beaucoup parlé de ces permissionnaires présents dans le convoi et sans armes comme le voulait la coutume. Le capitaine Assémat, dans un article publié dans le n° 228 d'Historia Magazine, et repris sur le blog de Michel le 04/12/2008, y consacre un entrefilet, mais parlant, "Un convoi de permissionnaires était tombé dans une embuscade (….) Les hommes désarmés n'avaient pas pu se défendre" (dixit). Une façon de gloser sur les rebelles à la victoire facile donc sans gloire. C'est aller un peu vite en besogne. D'autant que, après le premier feu, les survivants, malheureusement, ne devaient pas manquer d'armes.

 

Ce n'était pas un convoi de permissionnaires mais des permissionnaires dans un convoi. Nuance. Et combien étaient-ils ? Là encore, la version d'un témoin oculaire (7) aurait été d'un grand apport. Mais cela n'enlève rien à la victoire des fellaghas. Ils n'y sont pour rien. Ils ont profité des circonstances. Et un point de droit bien connu dit que "nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes".

 

Une précision a été apportée par RG (7). La 2ème compagnie en poste à Bouyamène a eu 13 tués. L'adjudant-chef G. qui partait en retraite, des permissionnaires dont certains libérables, un soldat autorisé à rejoindre sa famille en métropole pour assister aux obsèques de son frère, et ce malheureux enfin autorisé à se rendre à Dupleix pour des soins dentaires. Ce qui est énorme puisque représentant presque la moitié des tués. Par contre, il ne se rappelle pas du nombre des blessés.

 

Et, en tout état de cause, compte tenu des résultats prévisibles du premier feu, malheureusement, les armes disponibles ne devaient pas manquer. Donc une polémique qui n'a pas raison d'être.

 

LA REACTION

 

Alertée par les appels de détresse du convoi et vraisemblablement les détonations, une section de la 3ème Compagnie avec le capitaine la commandant, se précipita sur les lieux de l'embuscade. Le temps a été estimé à 15/20 minutes elle était sur place pour dégager les survivants en faisant fuir les HLL. c'est, du moins, la version officielle.(2)

 

Cela paraît peu. Surtout en début d'après midi. Comme il ne devait pas y avoir de section en alerte, ce ne doit pas être aisé de rassembler en un temps record des hommes en armes et des chauffeurs. En outre la piste pour se rendre à Lala Ouda (environ 6/7 km) est accidentée, tortueuse avec une forte montée sur la fin. Et pour des raisons de sécurité, il faut abandonner les véhicules quelques centaines de mètres avant le lieu de l'embuscade et terminer à pied.

 

La réalité est autre. Les premiers arrivés sur l'embuscade appartenaient à la 2ème Compagnie  de Bouyamène. Nous avons le témoignage de RG (7). A chaque convoi de ravitaillement, un élément de la 2 prenait à pied position sur la piste en protection. Ce jour-là, RG y participait pour la première fois. C'était une section renforcée, d'une quarantaine d'hommes, commandée par le sous lieutenant K. Vers 10 heures, ils s'étaient installés fortuitement à 5/800 mètres du lieu de l'embuscade, soit vraisemblablement en LY 15 C 53. Ce qui est confirmé par RG qui ignore cependant si c'était le lieu habituel.

 

Soit dit en passant, RG n'a pas vu de camion civil dans le convoi. Ni durant toute sa faction. Il aurait donc dû utiliser la piste avant son arrivée. Ce qui n'aurait rien de surprenant. Il existait un négoge de charbon de bois avec un point d'entreposage sur la piste pour faciliter le ramassage. Un camion civil l'effectuait mais hors convoi, sans aucune crainte. Ce qui n'est pas sans poser des questions...

 

Pour sa part, ML (10) confirme la présence du camion, un Berliet, en fin de convoi. Il a eu l'occasion de parler avec le chauffeur lors de son enquête sur place.

 

Alertée par la fusillade, en se gardant, la section s'est portée sur le lieu de l'embuscade. Les fells avaient déjà disparu. RG évalue le temps d'approche à une quinzaine de minutes. Il ajoute que juste après eux, un élément de la 3ème Cie s'est pointé à l'autre extrémité de la piste. Il en a déduit qu'il s'agissait d'une autre section également en protection de la piste en aval. Je partage son avis car aucun renfort même en état d'alerte, chauffeur au volant, moteurs tournant, hommes en armes à bord, ne pouvait arriver de Dupleix sur les lieux à 6/7 km, en ce temps record.

 

Et cela confirmerait les propos de EC (5) qui a déclaré que la 3ème Cie assurait la protection de la piste à chaque convoi. Il en a fait partie. Mais pas ce jour-là car il était absent de Dupleix.

 

Ainsi quand les renforts arrivèrent sur place, les rebelles avaient disparu. Ils furent confrontés à une scène d'apocalypse. Ils se consacrèrent donc à la recherche des blessés, à leur donner les premiers soins et à les hospitaliser, jusqu'à l'hôpital Maillot à Alger pour les plus gravement atteints. Les morts furent rassemblés et chargés sur les GMC encore en état de rouler. Comme les chauffeurs figuraient parmi les premières victimes, tous ceux titulaires d'un permis civil, même de VL, le devinrent.

 

Les corps furent rapatriés à Dupleix et préparés par des civils, des pieds noirs, avant la pise en bière.

 

Toute la région fut mise en état d'alerte et de nombreuses embuscades tendues. En vain car le secteur était encore "ouvert". Et les commandos héliportés n'arrivèrent que vers 18h/18h30. Le bouclage et le ratissage ne purent débuter que le lendemain matin au petit jour. Les rebelles étaient loin. Ils avaient définitivement gagné leur pari.

 

Le bataillon commando éclata en plusieurs unités pour regagner chacune sa base arrière. Qui dans la région de Marceau, qui vers Ténès, qui enfin, pour la plus importante équipe, en direction de l'Ouarsenis. Ce qui peut être considéré comme certain, c'est qu'aucun des participants à l'embuscade n'a été intercepté durant son repli. (10)

 

La conclusion du Compte Rendu du commandant Cailhol publié dans le Dahra diffère de l'original. Il est question d'une soixantaine de rebelles abattus. Un discours de circonstance pour remonter le moral des troupes. D'ailleurs, c'est le conditionnel qui a été utilisé : "plus de soixante rebelles réguliers auraient été abattus grâce au courage des nôtres".

 

Néanmoins, une énigme demeure. Aucun document officiel ne mentionne l'intervention de la chasse aérienne, ni dans l'heure qui a suivi l'embuscade ni par la suite. Pourtant en cas de coup dur, elle intervenait rapidement et efficacement. Mais a-t-elle été demandée ? Certainement car le contraire m'étonnerait. Le mauvais temps l'a-t-elle empêchée ? Mais pas le 28, car RG souligne un "bel après midi". Parmi ceux qui furent sur le terrain, personne ne s'en souvient.

 

Et pourtant les fells ne se cachaient pas. Le lendemain matin, une patrouille, moins d'une section, du 1/22ème RI a observé un élément rebelle avec mulets, certainement le plus lent, du côté de Beni Boilou (??). Nous ne savons rien de cette position. Mais ce témoignage de Roger Pierre Coureau, un entrefilet publié dans le N° 499 de l'Ancien d'Algérie, confirme l'utilisation de mulets que seul ML (10) a signalé.

 

Bien évidemment les populations locales subirent la vengeance des militaires même si les cadavres n'avaient pas été mutilés. Peut être parce que les rebelles manquèrent de temps. Il est question d'une répression parfois féroce avec tout son contexte d'arrestations arbitraires, de tortures, d'exécutions sommaires, de mechtas incendiées. Le mausolée de Lala Ouda fut même détruit ML (10). Même si le trait paraît parfois outrancier, nous aurions tendance à accréditer ce témoignage qui vise surtout les troupes sénégalaises sans négliger quelques éléments parachutistes et du 22ème RI.

 

S'il faut satisfaire un esprit de vengeance, sachez que Slimane/Sikha et Maâmar/Yahia ont trouvé la mort dans les violents combats de Sidi Madani près de Tamesguida, entre Blida et Médéa, le 15/04/1957.

 

CONCLUSION

 

L'embuscade du 28/02/1957 fut un désastre pour le 22ème RI. Le résultat de "mauvaises"  habitudes répétitives. Mais elles étaient difficiles à éviter. Maintenant nous savons par des témoins que le risque avait bien été pris en compte puisque la piste était protégée. Même si nous pensons que c'était insuffisant. Il semble que les 2 compagnies agissaient chacune séparément, sans aucune coordination. Et si la piste était protégée, elle n'était pas "ouverte" car une partie n'était pas reconnue. Et pas des moindres. C'est peut être la raison pour laquelle cela n'a pas été noté dans le compte rendu (2)

 

Nous ignorons quelle était la répartition habituelle des blindés dans le convoi puisque ce jour-là le half-track a connu un petit incident technique au départ. Mais sa place en dernière position n'était peut-être pas la plus judicieuse. Sur une telle piste, le blindé en fin de convoi ne pourra jamais le remonter. Et si une 12,7, voire une 7,62 ont une portée utile qui dépasse les 1000 mètres, à cette distance, elles manquent notoirement de précision. En fait, elles arrosent et gênent plutôt qu'elles ne repoussent. Même si dans le cas présent, la 12,7 aurait tué 2 rebelles dont un des chefs. Ce dont AR (6) n'est pas persuadé. A sa connaissance, rien ne le prouve. Il n'en reste pas moins que le résultat est là !

 

La piste était très dangereuse compte tenu de sa configuration. En conséquence, ledit jour, le convoi n'était pas suffisamment protégé du fait de sa longueur. Compte tenu du nombre d'hommes par véhicule elle manquait de puissance de feu pour espérer pouvoir repousser l'adversaire par ses propres moyens. Il manquait impérativement une section de protection qui aurait été répartie sur deux véhicules espacés.

 

Il a été dit que le capitaine B aurait été informé par le Morane d'une présence suspecte sur le lieu de l'embuscade et qu'il aurait répondu "je fais armer". Mais trop tard. Ce furent certainement ses dernières paroles.

 

 

Pendant de longues semaines, les convois de Bouyamène furent stoppés et remplacés par des parachutages effectués par des Nord-Atlas. Mais cela ne réglait pas un problème majeur pour le moral de la troupe : l'acheminement du courrier. Pour l'arrivée, il faisait partie du parachutage et toute opportunité était saisie. Un jour, c'est un T6 qui a largué le sac. Mais au départ, les occasions étaient rares. Seuls les hélicos de personnalités pouvaient être utilisés. C'était bien peu...

 

Juste après l'embuscade, le bruit a couru dans le secteur qu'une information avait été communiquée à Dupleix comme quoi les fells avaient aménagé des postes de combat et qu'il fallait prendre des précautions. AR (6) en a eu connaissance. Mais il est difficile de savoir si ce fait est exact ou s'il s'agit d'une simple rumeur résultant du traumatisme qui a suivi le drame. Mais cela traduit la crainte, voir la peur, que les hommes du convoi éprouvaient lorsqu'ils circulaient sur cette piste

 

A noter que, lors de mon séjour en 1960/1961, les "grandes opérations" ayant nettoyé le terrain, Bouyamène comme Bou Zérou, les 2 compagnies du djebel assuraient leur ravitaillement avec leurs propres véhicules et leurs hommes en protection.

 

Cette embuscade, comme celle de Tizi Franco du 09/01/1957, et d'autres qui suivirent,  accréditèrent la mauvaise réputation du 22ème RI, le régiment ayant connu le plus de pertes en AFN.

 

A ce propos, je me rappelle ma "sortie" de Cherchell. Les postes offerts étaient inscrits sur un tableau. Chaque EOR dans l'ordre de sortie choisissait son affectation. Etant PMS j'avais la possibilité de tirer une double affectation car n'ayant pas effectué de CI, étant ADL, je pouvais revenir en métropole pour former les jeunes recrues. Bien classé j'ai pu choisir l'affectation que je briguais : 22ème RI à Ténès puis 93ème RI à Courbevoie alors même que, mon service terminé, je reprenais mon poste civil sur Paris.

 

Mon choix fait, descendant de l'estrade, un capitaine présent m'a murmuré à l'oreille : "Vous avez choisi le régiment le plus décoré à titre posthume". Je me rappelle encore cette réflexion comme si c'était hier. Je ne l'oublierai jamais.

 

 

                                               J-C PICOLET


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